De Port Mahon à Carloforte – 8 et 9 juillet – 195 milles nautiques.

195 milles nautiques, c’est à dire une nuit en mer, en comptant une moyenne, un peu pessimiste, de 120 milles nautiques par 24 heures. Arrivés à Carloforte le dimanche 9 juillet au soir, nous en sommes repartis le vendredi 14 juillet. Il ne faut pas imaginer que cette petite ville du sud de la Sardaigne mérite une telle attention mais cette escale, prolongée malgré nous, nous a permis de nous reposer après quelques problèmes techniques qui furent autant d’épreuves, parfois même physiques.

Les problèmes avaient commencé tôt, dès Cherbourg, où nous avions dû patienter 24 heures pour résoudre un problème d’AIS qui ne fonctionnait pas. Puis d’autres dysfonctionnements dans l’électronique de navigation étaient survenus, justifiant 4 jours d’arrêt à Roscoff.

De Roscoff à Gibraltar, nos difficultés techniques se limitaient à une petite déchirure dans le spinnaker due à une mauvaise manoeuvre de ma part. Et, pour continuer sur des questions de voile, après Gibraltar et alors que nous nous dirigions vers Malaga, le gennaker tombait à l’eau en raison d’efforts trop importants que nous lui avions imposés, compte tenu de sa configuration. La récupération de cette voile fut un grand moment d’exercice physique.

Tout allait donc pour le mieux lorsque nous sommes arrivés à Garrucha. Compte tenu de la profondeur de ce port et pour éviter toute difficulté, nous avions relevé la dérive hydraulique diminuant le tirant d’eau de 3,15 m à 1,30 m.

Mais, le lendemain matin, en repartant vers Carthagène, la dérive refusait de descendre. Il était impensable que nous continuions notre périple avec une dérive haute, c’est à dire, en pratique, sans cet appendice qui permet de mieux tenir le bateau et la route. Retour donc au port de Garrucha pour tenter de trouver une solution avec le chantier Normandy Yacht Services contacté par téléphone. Mais impossible de trouver un technicien local capable d’assurer la réparation de cette panne et les différentes solutions envisagées avec NYS ne donnaient rien. En fin de journée, nous étions contactés par l’électricien du chantier qui nous demandait de procéder à divers tests électriques sur le système de dérive hydraulique. Me voilà donc, dans une tenue généralement réservée à l’intimité familiale, descendu dans la cale technique comprenant le moteur et tout l’appareillage du voilier, dans une chaleur que je vous laisse imaginer, avec une caisse à outils et notamment un voltmètre. Au bout de quelques heures, apparaissait que le responsable de la panne était un fusible qui n’avait pas apprécié les conditions de fonctionnement du moteur hydraulique. Pour sortir de cette situation et pouvoir repartir vers un autre port où la réparation pourrait être assurée, il nous fallait trouver le moyen de faire redescendre la dérive, quitte à ne pouvoir la remonter. Mis au pied du mur, ou plutôt du fusible, guidé par téléphone par l’électricien du chantier, j’ai donc appris, sur le tas, à “shunter” un fusible, c’est à dire à reconstituer le circuit électrique mais sans ce fusible. Au bout de quelques heures de tâtonnement et avec quelques litres de sueur, nous arrivions à faire redescendre la dérive, ce qui nous permettait de repartir pour Palma de Majorque où un rendez-vous était pris avec un technicien compétent.

Une précision, ou plutôt une mise au point, s’impose ici. Je ne suis pas bricoleur ; je déteste cela et préfère laisser ce plaisir à d’autres. Même changer une ampoule me met de mauvaise humeur … Alors, imaginez ma tête en train de “shunter” un fusible dans le circuit électrique d’un système de dérive hydraulique au fond de la cale d’un voilier … A toutes fins utiles, je confirme donc que le travail fait ce soir-là, sous la contrainte des évènements, ne m’a absolument pas fait changer d’avis sur le bricolage : je déteste toujours.

J’insiste sur ce point car Martine, me voyant commencer à manier pinces, clés à pipe et voltmètre, s’est imaginé pouvoir me confier d’autres tâches domestiques. C’est ainsi que le lendemain, je me retrouvais à étendre le linge pour séchage dans le grément du Marjan… Certes les tâches ménagères ne sont pas sans noblesse (les amateurs de Michel Audiard apprécieront) mais j’entends résister à toute entreprise de ce genre et je résisterai jusqu’au bout. Fin de la digression, il fallait que les choses fussent dites.

Mais nous n’en avions pas fini avec les problèmes.

Commençons par planter le décor : nous sommes dans la nuit du 8 au 9 juillet, en pleine mer entre Minorque et le sud de la Sardaigne, à 100 milles nautiques de celle-ci environ. Il est minuit passé, Martine dort, je suis à la barre, tout va bien, le bateau avance et je cherche à repérer dans le ciel la casserole et le chariot de magasin lorsqu’une alarme du système électronique m’indique que le pilote automatique est en panne. Qu’à cela ne tienne, nous avons un second pilote automatique que je branche aussitôt et qui, tout aussitôt, tombe également en panne…

J’appelle alors Martine, façon Apollo 13 : “nous avons un problème”. Effectivement, en l’absence de pilote, nous devons tenir la barre constamment, ce que je commence à faire en disant à Martine d’aller dormir quelques heures avant de prendre le relais.

Il apparut alors que le problème n’était pas seulement lié aux pilotes automatiques mais se situait dans le système de gouverne du bateau et l’examen ultérieur de ce système montrera que la mèche du safran babord s’était décrochée et était sortie du tube de jaumière. Le résultat se fit immédiatement sentir de manière très physique : la barre devint dure et difficile à manier. Et nous nous trouvions en pleine nuit au milieu de la Méditerranée… J’eus un instant la tentation de lancer un appel d’urgence au Cross Gris Nez à l’aide du téléphone satellitaire pour nous faire remorquer mais y renonçais car la situation n’était pas encore catastrophique puisque le voilier restait gouvernable, certes non sans efforts physiques. En revanche, nous décidions d’affaler les voiles pour simplifier la conduite du bateau et de continuer au moteur.

C’est ainsi que, 22 heures après, nous arrivions à Carloforte nerveusement et physiquement épuisés.

Et pour couronner le tout, alors que nous étions amarrés, le moteur refusait de s’arrêter avec le bouton commandant son étouffement. Heureusement, le “marinero” présent pour nous aider dans l’amarrage réussissait à nous trouver une solution pour éteindre le moteur.

L’arrivée à Carloforte fut pour nous surréaliste. Cette petite ville se situe sur l’ile Saint Pierre, séparée du sud de la Sardaigne par un bras de mer assez étroit et peu profond. L’entrée dans ce bras de mer exige de faire attention à ne pas s’échouer et, pour accéder au port, il est préférable de suivre précisément le chenal d’accès. Et, chaque fois, que nous lâchions quelques secondes la barre, celle-ci se mettait à tourner, faisant faire un tour complet au bateau… Heureusement pour nous, il n’y avait, ce soir-là, aucun vent et le bras de mer ressemblait à un lac qu’aucune risée ne venait troubler. A cela, il faut ajouter la chaleur, la brume et le crépuscule de sorte que de l’ensemble se dégageait une atmosphère assez curieuse rappelant à la fois le Rivage des Syrtes et la Mort à Venise. Il était prévu que notre voyage fut un dépaysement ; de ce point de vue, c’était très réussi.

A Carloforte, nous avons donc pu nous reposer et faire remettre en état de marche le système de gouverne du bateau et le premier pilote automatique, le second restant en panne pour des raisons inexpliquées à ce jour. La panne du système d’arrêt du moteur par étouffement, quant à elle, était due à une panne du solénoïde (vous ne savez pas ce que c’est ; je ne le savais pas non plus). Mais évidemment, pas de solénoïde disponible à Carloforte. Le mécanicien local appelé à la rescousse m’a donc montré comment arrêter le moteur manuellement en mettant la main dedans, ce qui exigeait, préalablement de vider un placard de la cuisine, d’enlever le panneau du fond de ce placard, ce qui donne un accès latéral fort utile au moteur… En attendant la réparation, qui se fera à Athènes, Martine aura eu le plaisir d’avoir une partie de sa vaisselle étalée sur la couchette de la cabine avant. Et, pour ma part, cet épisode m’aura conduit, pour la première fois de ma vie, à mettre les mains dans un moteur. Je renverrai ceux qui pensent qu’il faut un début à tout, à ma digression supra.

Quoique pris par ces problèmes techniques, nous avons quand même pu nous promener et profiter de la ville de Carloforte qui est un modèle de station balnéaire assez jolie.

L’arrivée à Carloforte sans vent, dans la brume et la chaleur.

Et c’est ainsi que, la vaisselle dans une cabine et mes mains dans le moteur, nous repartions le 14 juillet pour Palerme pour une traversée de 3 jours sans problèmes, histoire de changer un peu.

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